Sympathy for the Retail

© Xdr

Ouh ouh ! Ouh ouh ! Ouh ouh ! On la croyait condamnée. 
Inéluctablement poussée vers la sortie par une course à la productivité individuelle, boudée au quotidien par une génération techno-addict ne communiquant plus ses « émotions » que par picto interposé et, surtout, victime toute désignée d’une remise en cause douloureuse d’un business model luttant finalement pour rien moins que sa survie. 
Et voici que, revascularisée par une crise sanitaire qui pousse Madame Michu à sécuriser la gamelle de sa nichée avant tout, la solidarité des équipes, et la sympathie qu’elle suscite chez les clients, renaît de toute la splendeur qui a fait de la vie « d’avant » en magasin, du temps des grandes heures, un truc fabuleux, vraiment à part. 
Blier aurait demandé à Ventura d’un air nostalgique : t’as connu ?
Quand les services support se planquent plus que de coutume derrière leur écran (cette fois, certes, depuis la maison et pour une raison légitime), les hommes et les femmes « de carrelage » assurent pour que la population, qui les a pourtant honnis, puisse manger. Un peu comme avec la police au lendemain d’attentats, les pétochards cherchant tous maintenant à s’abonner en urgence à « Netflic ».
On pourrait bien sûr s’attarder sur la manière : les 1 000 € de prime (peut-être réclamés a posteriori aux fournisseurs d’ailleurs, comme contribution à l’effort de guerre) qui ressemblent un peu à la topette de gnôle que les poilus tétaient en tremblant avant de sortir bravement des tranchées pour courir s’embrocher sur les pointes en tous genres – baïonnette, casque, barbelé – de l’ami Fritz, les photos et vidéos savamment orchestrées, à grand renforts d’applaudissements et de sourires masqués, puis publiées régulièrement sur les réseaux sociaux par la Direction des Récupérations Humanistes, la démagogie après coup sur le prix de vente des masques quand tous les personnels n’en reçoivent pas toujours au quotidien, peu importe, les équipes magasin de la GMS méritent, elles, considération, respect et gratitude. 
Reste maintenant à faire quelque chose de cet élan de sympathie, encore timide et surtout fragile. A part peut-être les survivants de l’aventure Elmer Food Beat, les pékins ne se montrent pas encore aux fenêtres le soir pour applaudir la caissière de chez Leclerc et, même s’il y a fort heureusement moins de suicides d’ELS (probablement moins facile avec la scanette de service qu’avec un Sig 2022) que de policiers, à part un « merci » plus appuyé et fréquent qu’avant en direction de la pauvre plexiglassée qui officie pendant des heures en caisse, ça n’est pas encore Byzance pour la reconnaissance.
Il y a malheureusement de grandes chances qu’on retombe, dès que le Roi Virus XIX aura perdu sa couronne maudite, dans le travers « vive les carottes non lavées presque bio du père Mathieu, nous, on casse de la GMS » !
Gageons par ailleurs que cette solidarité touchante envers la population criant presque famine – ça creuse finalement de comater devant l’intégrale de « GOT » ou alors c’est juste la cambrure de la Khaleesi qui fait saliver – et inquiète d’une éventuelle rupture de rouleaux ouatés de cellulose, et aussi, restons lucides, cette solidarité… envers le chiffre d’affaires, cette solidarité donc envers la population, envers la direction et surtout entre collègues fera certainement l’objet d’une tentative de récupération « cheap » sous la forme d’un souvenez-vous pathétique, avec Curly démarqués et Crémant chaud en gobelet plastique ! 
Ça mérite mieux. Beaucoup mieux.
Certains l’ont d’ailleurs très bien compris : Leclerc qui devient « plus sympathique » que Carrefour dans certaines enquêtes, Intermarché qui tombe le masque à prix coûtant, les photos des supermarchés locaux – les grand gagnants en parts de marché – communes avec les chouchous des Français comme les pompiers… 
On n’en est pas encore aux barons régionaux venant raviver la tombe du pompiste inconnu ou à la plaque à l’entrée de la réserve rappelant qu’ici est tombée Régine en glissant sur un morceau de caissette en polystyrène de la poissonnerie, mais les part-time externalisées de la com (en clair, la maîtresse du directeur régional) travaillent déjà d’arrache-pied, c’est-à-dire 3 heures par jour, à comment récupérer tout ça.
Peu importe. À toutes celles qui ont la trace des masques sur le visage en fin de journée en caisse et à tous ceux qui ont les dessous de bras de la chemisette blanche brûlés par la transpiration, à toutes celles qui baillent devant un mauvais café à la pause et à tous ceux qui tirent trois lattes d’une roulée, cachés par le compacteur, à toutes celles et tous ceux dont on voit encore le sourire derrière le masque en fin de service : merci pour tous ceux qui vous oublieront trop vite.
On vous aime.

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